Langue nationale, langues régionales, dialectes, patois… Mais de quoi tu me parles exactement ?
Et oui… Il existe de nombreuses façons de se parler, en France !
La République française est un État unitaire et centralisé qui a depuis longtemps utilisé sa langue comme une stratégie pour fédérer une population disparate aux multiples cultures.
Et pourtant, l’histoire de la langue française, longue et complexe, s’est au fil du temps métissée sous l’influence de nombreuses autres langues.
La langue française a évolué à partir du grec, du latin ou du gaulois… Elle a également été influencée par les langues celtiques, germaniques et romanes. On y croise des mots baladeurs venus d’ailleurs : Italie, Espagne, Portugal, Russie…
Et d’autres encore qui, au cours des siècles, ont voyagé de bien plus loin : ils nous arrivent en provenance du monde arabe, de Turquie, ils ont traversé l’Atlantique avant d’arriver jusqu’à nous, emprunté au sanskrit, au quechua (langue des Incas qui est aujourd’hui la plus parlée en Amérique du Sud) ou aux langues d’Extrême-Orient…
Ainsi, ce sont les innombrables racines de la langue française qui en font sa richesse inestimable, elles sont comme un rêve de voyages pour l’amateur éclairé. Et que tous ceux qui se targuent de parler un français pur gardent à l’esprit cet élément important : la fameuse “langue de Molière” vient de bien loin et elle vient d’ailleurs. Elle est évolutive, riche de son passé. Devenue à présent une langue mondiale sous l’influence de ses 300 millions de locuteurs francophones, elle se prête à tous les défis linguistiques futurs qui s’offrent à elle.
Les Français, des intégristes de leur langue ?
Bien qu’ils soient souvent assez mauvais en langues (des rapports récents de la Commission européenne classent la France en queue de peloton dans l’UE, pour sa mauvaise maîtrise des langues étrangères), les Français ont une passion pour leur propre langue. Dans l’Hexagone, plus qu’ailleurs il me semble, la correction orthographique est une religion. C’est même considéré comme un marqueur social et professionnel déterminant et les ateliers d’écriture fleurissent, proposant aux adultes des formations leur permettant de maîtriser le “Savoir-écrire”.
Connaissez-vous un autre pays qui se passionne à ce point pour les Concours de dictées ? Un autre pays qui, depuis des siècles, crée des institutions, des lois, des événements pour promouvoir et encadrer sa langue afin de la « protéger des intrusions » étrangères ?
Petite genèse de la langue française
En 1539, le Roi François 1er signe l’Ordonnance de Villers-Cotterêts qui impose le français pour la rédaction de tous les actes juridiques et administratifs. Le français remplace alors le latin, devenant ainsi la langue officielle du droit et de l’administration, affermissant du même coup le pouvoir du Roi. Pourtant, à cette époque, 99% des Français parlent “patois”, une variante locale et orale de leur langue régionale.
En 1631, le Cardinal de Richelieu, souvent vu comme le “Premier Ministre” du Roi Louis XIII, commande la création de La Gazette qui est la première revue écrite en français. Il s’en servira ultérieurement comme outil de propagande.
En 1635, Richelieu, toujours lui, fonde l’Académie française (tu as sans doute déjà entendu ce nom !) dont les 40 membres sont surnommés les “Immortels”. Richelieu confie aux Immortels la mission de développer la langue française et l’un de leurs premiers projets est de créer le Dictionnaire de la Langue française dont le premier volume sera publié quelque 30 années plus tard, en 1694.
Cependant, jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, le français reste la langue des élites, des intellectuels, des riches et des puissants… Le peuple, lui, ne parle pas français, d’autant que l’instruction du peuple est considérée comme inutile, voire dangereuse.
En 1790 cependant, un religieux, l’abbé Grégoire, travaille à la restructuration de l’enseignement public et lance une grande enquête dont le rapport, nommé Rapport sur la nécessité et les moyens d’anéantir les patois et d’universaliser l’usage de la langue française ou Rapport Grégoire, conclut en faveur de l’éradication des patois au profit d’une langue nationale : la langue française.
Par ce geste, l’abbé souhaite unifier le peuple et faciliter la diffusion des connaissances. C’est à partir de ce moment qu’on enseigne LE français, qu’on enseigne EN français dans les écoles. Pourtant, jusqu’au début du XXe siècle, 80% des gens s’expriment encore exclusivement en patois.
Et c’est ainsi que ma grand-mère, scolarisée dans les années 20 dans une région rurale du centre de la France, a appris, dans la douleur, à parler français. Petite fille, elle ne parle que le patois. C’est à l’école qu’elle apprend… la Langue de la République, à coups de baguette, généreusement dispensés par l’instituteur dès qu’un enfant ouvrait la bouche et ne s’exprimait pas en français. Nul besoin de te préciser qu’il régna un silence de mort dans les classes pendant les premières années d’école de ces enfants.
Le renouveau des langues régionales
Ainsi, pendant longtemps, les langues régionales ont été en France victimes d’une politique systématique d’éradication menée par l’État, avec en arrière-plan l’idée que parler une autre langue que le français risquait de nuire au sentiment d’appartenance nationale.
Et jusqu’à la fin des années 50, l’école s’est faite l’instrument de cette politique. Les parents eux-mêmes obligeaient bien souvent leurs enfants à parler français, espérant ainsi leur donner une meilleure chance d’accéder aux études et à une certaine promotion sociale : seuls les vieux et les paysans parlent patois. Tel est le leitmotiv (Ah, tiens… un germanisme, mot allemand de la langue française !) qui a bien failli conduire à la disparition totale des langues et des cultures régionales.
C’est seulement dans les années 70 que la vapeur s’est inversée, timidement, et que des écoles régionales bilingues ont été créées : l’enseignement y est dispensé en français-breton, en français-occitan, en français-basque, en français-alsacien…
On assiste alors à la naissance d’émissions de radio ou de télé en langues régionales et l’État a tente de redonner à toutes ces cultures leurs lettres de noblesse. Pourtant, cela ne concerne que l’Hexagone, faisant fi de la mosaïque de peuples et de parlers hérités de la colonisation française.
Dans les territoires d’outre-mer, les choses ont pris bien plus de temps : ce n’est qu’en 2002 que le créole est reconnu comme une langue régionale à part entière, défendue et enseignée en Guyane, en Guadeloupe ou à la Réunion.
Riche de ses quelque 3 millions de locuteurs, le créole est désormais la plus dynamique des langues régionales de France.
Qu’en est-il aujourd’hui ?
Les linguistes s’accordent pour dénombrer 75 langues régionales sur le territoire français. Cependant, seuls 3% des Français les utilisent, couramment et régulièrement. On peut donc craindre qu’elles soient condamnées à disparaître à plus ou moins longue échéance, malgré les (maigres) efforts entrepris au niveau national pour les sauvegarder.
En effet, si la Constitution de 2008 a bien reconnu les Langues Régionales comme un Patrimoine National, la France n’a toujours pas ratifié la Charte européenne des langues régionales contrairement à la Pologne, l’Allemagne, le Monténégro, l’Espagne, la Norvège, la Hongrie, etc. Tu ne trouves pas ça quelque peu bizarre, toi ?
En tout cas, il y a DES langues en France, mais ce n’est qu’au tout début du XXIe siècle qu’on s’en est finalement aperçu dans les cabinets ministériels ! C’est en effet en 2001 qu’apparaît la DGLF-LF… Mais qu’est-ce donc que ce truc-là ? Laisse-moi te présenter la célébrissime Délégation Générale à la Langue Française et aux Langues de France ! Pour la première fois de son histoire, la République reconnaît dans la manière même qu’elle a de se nommer et de se présenter, un patrimoine linguistique qui s’étend bien au-delà du français.
Alors patois, dialectes, langue nationale ou langues régionales, comment se parle-t-on en France ? Le patois de ma grand-mère, celui dont elle avait honte et qu’elle utilisait comme en cachette avec mon grand-père quand on ne les entendait pas, le patois, donc, a changé de nom sous l’influence de l’Union Européenne et a été désormais baptisé langue régionale.
Mais dans le nouveau monde du politiquement correct, les politiciens français s’expriment de toute façon en novlangue, la langue de bois typique des arcanes du pouvoir dans l’Hexagone : de peur de se faire mal voir, ils ont banni de leur vocabulaire les termes de dialecte et de patois. C’est mieux comme ça : si on ne les utilise plus, c’est qu’ils n’existent plus !
Alors patois, dialectes ou langue(s), on parle en France comme ça nous chante…
Soyons fous, soyons libres, et parlons, quelle que soit la langue !
Ne soyons pas timorés, et parlons… Et si les mots ne suffisent pas, on peut toujours parler avec les mains, les mimiques ou les onomatopées !